dimanche 29 novembre 2009

Aïd Mobarak Saïd !!!

Tout le monde nous l'avait déconseillé, on nous avait promis une après-midi terrible d'ennui et d'attente, on nous avait décrit d'immangeables plats d'abats. "Mais les filles vont être traumatisées!" avait prédit une collègue..
Samedi nous étions invités chez Soria, notre nounou, pour fêter l'Aid el Kebir chez elle avec sa famille.
Soria habite avec sa maman et son plus jeune frère dans le quartier le plus populaire de la médina : le Mellah (l'ancien quartier juif). Nous avons rendez-vous avec elle à la porte de la médina. Il est 13h et la plupart des familles ont déjà procédé au sacrifice.
La Fête de l'Aid avait commencé à 10h, lorsque SM Mohammed VI a dit les prières et effectué le rite du sacrifice dans son palais royal de Fès. C'était le signal du départ, plus de 5 millions de moutons vont être égorgés en quelques heures.

En allant à la médina rejoindre Soria, nous constatons que Rabat est vide. Personne dans les rues ... ou presque : la ville grouille de bouchers improvisés, louant leurs services pour accomplir le rite. Ainsi on voit ça et là des hommes en tabliers sanguinolents, bottes aux pieds et hachoir à la main, qui se promènent dans la rue en criant... On se croirait dans un film d'horreur des années 80... "Le Boucher de Rabat 1490" !
Tout Rabat sent le sang, la viande grillée et surtout ... ce qu'en France on appellerait le cochon grillé, mais qui ne serait pas très correct de décrire ainsi dans ces circonstances. Bref, une odeur âcre et une nappe de fumée blanche recouvrent la ville.
Nous retrouvons donc Soria qui nous conduit jusque chez elle, en prenant soin d'éviter les "barbecues" géants qui obstruent les petites ruelles du Mellah. Certaines familles égorgent et cuisent le mouton chez elle, d'autres font appel à ces boucheries improvisées dans la rue.
Nous arrivons dans une maison traditionnelle de la médina : derrière la porte d'entrée un couloir fait un coude pour éviter qu'on ne voit l'intérieur de la ruelle, ensuite on pénètre dans une petite cour carrée sur laquelle donnent les différentes pièces de la maison.
Le frère ainé a déjà sacrifié un premier mouton ce matin. Il y en a 2 autres, mais Zoubida, la maman de Soria, ne veut pas qu'il sacrifie les 2 autres moutons, "car il ne fait pas assez ses prières" - nous explique en douce Soria. Zoubida veut que ce soit un bon musulman qui procède au rite...
Un voisin (et bon musulman donc) arrive bientôt, le jogging couvert de sang... Il ne doit pas en être à son premier sacrifice de la journée... Le mouton - qui attendait sagement dans une pièce à côté - vient, ou plutôt est traîné dans la cour... car il n'a pas l'air franchement emballé par l'hommage à Abraham... Le voisin le couche sur le flanc gauche, la tête en direction de la Mecque ; 2 ou 3 hommes l'aident à tenir la bête.


En quelques secondes, le geste est précis, un aller un retour, il tranche le cou du mouton, qui se débat avec énergie pendant plusieurs minutes. Le sang gicle de son cou... C'en est trop pour Lily et Jeanne qui ont battu en retraite dès le premier coup de couteau. Les gâteaux et la télé (allumée forcément... cf le récit de l'anniversaire de Nour il y a quelques semaines) dans le petit salon c'est plus intéressant ; en revanche Capucine reste : "j'ai un peu peur mais je reste parce que ça m'intéresse de savoir comment on fait. Comme ça je saurai pour plus tard, quand je serai grande".
Lorsque le mouton est complètement vidé de son sang, on l'accroche par les pattes dans la cour et on commence à lui enlever la peau, la couche de gras (qui est accrochée sur un fil à linge pour la sécher) et les abats : foie, coeur, poumons, panse, boyaux, etc. ainsi que les pieds et la tête.

(on a beaucoup aimé les bottes porte-couteaux...)

Certains morceaux sont cuits immédiatement sur un petit barbecue dans la cour. La tradition veut qu'on mange le jour même des brochettes de foie, tandis que la carcasse va rassir quelques jours : on la mangera plus tard. La cour est lavée à grande eau et les apprentis-bouchers de la maison remettent ça avec l'autre mouton. Cette fois Jeanne jette un oeil dans la cour pour voir... mais pas longtemps - "il y a beaucoup de sang hein, beaucoup beaucoup de sang ici..."


Après nous être régalé de brochettes de foie (vraiment délicieuses, avec un mélange de sel et cumin) et de thé à la menthe (environ 5 ou 6 verres pour Lily...), nous rentrons à la maison. Choukrane besef à Soria et sa famille pour cette fête !


PS : Aujourd'hui premier dimanche de l'Avent: on se met en route vers Noël. Lors de la liturgie des enfants pendant la messe : "Alors vous avez bien écouté le prêtre, qu'est-ce qu'il se passe aujourd'hui?" Capucine : bah c'est l'Aid !

vendredi 27 novembre 2009

Sacrifice

Demain c'est l'Aid El Kebir !
L'Aid el Kebir veut dire "la grande fête", de son vrai nom Aid Al Adha ("fête du sacrifice").
Cette fête commémore la soumission d'Ibrahim (ou Abraham) à Dieu, symbolisée par l'épisode où il acceptait d'égorger son fils Ismaël (Isaac pour les Chrétiens) sur l'ordre d'Allah. Au dernier moment Allah envoya un mouton par l'entremise de l'archange Gabriel pour remplacer l'enfant comme offrande sacrificielle.
En souvenir de cette soumission totale d'Ibrahim à Dieu, les familles musulmanes sacrifient un mouton ou un bélier, mais parfois d'autres animaux comme des vaches ou des chèvres, en l'égorgeant, couché sur le flanc gauche et la tête tournée vers La Mecque, après la prière et le sermon de l'Aïd.
Cette fête intervient 70 jours après l'Aid El Fitr (la fête de fin de Ramadan) et elle clôt le Haj, le grand pèlerinage à la Mecque.
Au Maroc c'est, comme chaque année, le Roi qui donnera le signal de départ...
Ensuite un peu plus de 5 millions de moutons mâles seront sacrifiés, sur les 7 millions que compte le pays : autrement dit plus des 3/4 du cheptel ! (pour 30 millions d'habitants).
Quant à l'économie du pays elle profite elle aussi de la grande fête. En effet entre les moutons "légers" (50 kg) à 2000 dh, les moutons moyens (60 kg) à 3000 dh et les poids lourds à plus de 3000 dh, le volume global des transactions lors de l'Aid s'élèverait à 12,5 milliards de dh. Soit presque 2% du PIB.
Selon le responsable de la production animale au ministère de l'Agriculture, les ventes de moutons vont à elles seules générer 7 milliards de dh de chiffre d'affaires.
De plus plein de petits emplois bénéficient eux aussi de l'Aid : les vendeurs de rue délaissent leur marchandise habituelle pour vendre couteaux, brochettes et épices ; le voisin s'improvise apprenti-boucher et sacrifie tous les moutons du quartier ; les jeunes passent de maisons en maisons récupérer les têtes et les peaux pour les revendre, etc.
Aid Moubarak Said !

vendredi 20 novembre 2009

Bientôt l'Aïd !


Les premiers moutons sont exposés dans la médina ... les moutons marocains de l'Aïd sont beaux !

jeudi 5 novembre 2009

On a perdu (le) Nour

Le Week-end dernier Jeanne et Lily étaient invités par Nour, le fils de Sanaa, notre nounou, pour fêter comme il se doit ses 5 ans... L'anniversaire version marocaine est assez surprenant pour notre culture occidentale ...

Nous voilà donc partis - avec une heure de retard - pour la Médina. Premier défi : trouver la maison de Nour... Heureusement que Soria (notre autre nounou) était là pour nous guider : on connait la Médina, ses grandes artères, le marché central et la rue des Consuls... Mais la Médina, la vraie, il y a de quoi se perdre... Après être entré dans la médina par une porte annexe et avoir marché dans une rue commerçante encombrée, nous tournons dans une petite rue et tout au fond nous nous arrêtons devant une porte cochère, un escalier sombre... Au premier étage : une musique assourdissante nous tombe dessus. Nous nous retrouvons donc tous les 4 (Pop's est invitée à un autre anniversaire) dans une pièce de ... 8 m² environ, LE salon marocain typique : tapis, table ronde, et banquettes le long des murs. La télévision et la chaine Hifi trônent en bonne place et hurlent (y a pas d'autres mots) des clips marocains et arabes.
Nous ne sommes pas les premiers, mais malgré notre bonne heure de retard, nous sommes loin d'être les derniers. C'est comme ça que ça se passe ici : une heure est toujours approximative... Compter une à deux heures de retard pour une soirée, une bonne demi-heure pour un rendez vous, si vous voulez arriver dans les temps.
Accueillis par Sanaa, la maman de Nour, en grande robe marocaine, cintrée, maquillée, et son mari, elle nous indique une place au fond de la pièce, sur la banquette... Ha... Jeanne et Lily coincées sur une banquette c'est pas gagné...
La famille arrive et défile, la grand mère, la grand tante, les tantes, les soeurs... pas beaucoup d'hommes... 3 pour être exact : le mari de Sanaa, son frère, et moi.
Mais où est Nour ?
Le thé arrive ... les ch'békia ... Lily est dans son élément et elle se met à danser au milieu du salon, au rythme des clips marocains ou égyptiens, et taper des mains comme les autres, au milieu des youyous, des chants et des versets du Coran repris en coeur pour l'occasion par l'assemblée...
Une heure plus tard, nous sommes toujours là, coincés au fond du salon, avec toute la famille de Sanaa assise en brochette sur les banquettes... Personne ne se parle vraiment ; d'ailleurs il faudrait pouvoir crier plus fort que la télé... personne n'a semble-t-il le courage de tenter. Donc on se regarde et on se sourit d'une banquette à l'autre ; on se laisse parfois capter par un clip à la télé ; on mange quelques gateaux quand Sanaa passe avec un nouveau plateau. Lily fait rire les vieilles tantes... faut dire que recevoir une petite famille françaouia c'est pas courant...
Toute le monde se tient tranquille sur sa banquette, y compris les rares - très rares - enfants présents à cet anniversaire... Mais forcément, au bout d'une heure et demi, un ou deux commencent à se chamailler et à jouer au milieu des invités. Immédiatement ils se font attraper par la grand mère. Là une parenthèse s'impose : je me dois de vous décrire un peu la grand mère. C'est une vieille dame très ratatinée, mais très alerte. Son visage est comme tout chiffonné, avec deux petits yeux noirs et pétillants qui essayent de se faire un peu de place au milieu de toutes ces rides.... On dirait une carte postale, avec son voile coloré et ses tatouages traditionnels sur le visage. Elle a l'air gentille et pleine de vie ... Mais quand elle se fâche contre les enfants, imaginez-vous une sorcière deux fois plus grande que vous, qui vous attrape par le col de la chemise et vous dit des choses pas vraiment gentilles avec un air pas content du tout. Drame...
Mais ou est Nour ?
Soudain Sanaa éteint la télé... Haaa... quel bonheur ce silence... Mais le répit est de courte durée, car un groupe de musiciens arrive dans le petit salon : ils jouent d'une sorte de trompette traditionnelle assez stridente, du tambourin et chantent des airs marocains. Les banquettes se vident d'un seul coup, toute la famille est debout, danse au milieu du salon, tape dans les mains ; c'est très joyeux. Au bout d'un quart d'heure le groupe repart aussi soudainement qu'il est arrivé... et on remet la télé bien sûr !
Toujours pas d'anniversaire - du moins pas au sens où on l'entend en France. Pas d'animation pour les enfants, qui d'ailleurs ne sont pas franchement le centre de la fête. Sanaa et son mari sont invisibles et passent de temps en temps pour vérifier que leurs invités, et surtout nous, ne manquons de rien. Gâteaux, thé (excellent d'ailleurs)...
Mais où est Nour ?
Nour est bien là en face de nous, assis sur sa banquette ; il trouve le temps un peu long et les dessins animés qui défilent sur la télé, entrecoupés de séries américaines et de clips arabes, ne suffisent pas à l'intéresser.
Soria est là pour nous expliquer un peu ... heureusement.
Ainsi se passent les anniversaires au Maroc : il serait très impoli de la part des hôtes de s'assoir auprès de leurs invités pour animer la conversation. Leur rôle est de s'occuper de la cuisine et de faire tout pour que les invités n'aient pas à lever le petit doigt de l'après midi. Une fête réussie est une fête où toutes les banquettes sont remplies...
L'anniversaire, comme la plus part des fêtes marocaines est une fête familiale, où nous invitons donc la famille et les amis proches ... Mais pas nécessairement les enfants. Cette fête durera jusqu'à 22h au moins (nous sommes là depuis 15h !! il est 17h30 ...) et le gâteau n'arrivera qu'en fin d'après midi. En attendant on danse un peu, on boit du thé et on mange des gâteaux. Assis sur sa banquette.
Alors faisons comme tout le monde... nous mangeons, buvons et dansons !
Mais il faut quand même que nous rentrions, et avant 18h nous quittons nos hôtes, que nous remercions plus que chaleureusement ... Ils sont un peu étonnés de nous voir partir si tôt, mais dans l'affaire nous avons décroché une invitation pour l'Aïd ! et ça aussi on y sera, c'est promis !